Non, ce n’est pas normal. C’est même scandaleux, et plus encore lorsqu’l s’agit de celle qui se présente, excusez du peu, comme « la plus grande librairie de France ». Ses responsables argueront de ce qu’elle n’ouvre ses portes que durant quelques jours, que des centaines d’auteurs y sont invités à dédicacer leurs livres et qu’elle est le lieu de nombreux débats. Et alors ? Ailleurs aussi puisque c’est aussi la vocation d’une librairie qu’elle que soit sa taille. On aura compris qu’il s’agit du Salon du livre de Paris – 9,50 euros l’entrée. Un mois avant sa nouvelle édition du 16 au 19 mars, la polémique reprend pour des questions d’argent, comme les années précédentes mais sur un registre différent. Jusqu’à présent, la contestation se focalisait surtout sur le tarif prohibitif de la location des stands, ce qui décourageait nombre de petits éditeurs de province de faire le voyage malgré l’aide récente qui leur a été octroyée ; on a même vu des plus grands et des plus parisiens boycotter car le Salon leur coûtait chaque année de plus en plus cher pour un profit de moins en moins évident fût-ce en terme d’image, de relations publiques ou de promotion pour leurs auteurs dont certains rechignent à « tapiner » dans les travées en guettant le client. On avait l’impression qu’au fond, dans l’affaire, seul Reed Expositions France (groupe Reed Elsevier) l’organisateur du salon, y trouvait son compte. Or ne voilà-t-il pas qu’il se distingue en exigeant de faire payer l’entrée aux auteurs. Enfin, pas tous. Juste la plupart. Ceux qui ont sollicité une accréditation ont reçu en réponse un courriel de Bernard Morisset, le commissaire général du Salon, leur annonçant :
« À compter de cette année, seuls les auteurs ayant une actualité et donc une dédicace sont accrédités gratuitement au Salon du livre (…) Il nous faut absolument préserver notre salon des gangs de malfrats qui sévissent, mais plus encore contre les lettres falsifiées qui nous parviennent, et permettent d'enrichir un marché noir »
Jusqu’à présent, il leur suffisait de se faire accréditer en envoyant un Pdf de la couverture de leur livre. Il leur faut désormais s’inscrire au préalable, présenter une carte d’adhérent de la SGDL, de la SCAM, de l’ATLF, de la Charte des illustrateurs, de la Maison des écrivains ou une lettre de mission « motivée » signée de leur éditeur. Comme le déduit Ayerdhal, pseudonyme de Marc Soulier, écrivain de SF et de thriller, sur sa page Facebook : les autres, ceux qui n’appartiennent à aucune de ces sociétés d’auteurs, relèvent par conséquent de la catégorie « malfrats ». Ils apprécieront. Et comment, selon quels critères et en fonction de quels paramètres, les organisateurs décrèteront-ils qu’un livre est toujours « d’actualité » ? Face à la bronca qui menace sur la Toile, ils ont dû se fendre de « précisions » dans un communiqué qui vaut le détour :
« Trop de pseudos professionnels ont abusé ces dernières années d’une accréditation par trop aisée (…) Les organisateurs de Salons (…) sont victimes de bandes mafieuses vendant à la sauvette des billets volés, falsifiés ou autres (…) Devant l’inaction des pouvoirs publics pour juguler ce trafic, les organisateurs sont dans l’obligation de resserrer leur dispositif, ce que le Salon du livre est en train de faire (…) Le Salon du livre est un événement qui ne vit pas de financement public et se doit de garantir à ses clients exposants des conditions claires et nettes concernant son visitorat, et déclarer des chiffres de fréquentation véraces et contrôlés par un organisme indépendant. »
On en est là : le souci du vérace au niveau du visitorat ! Affligeant. Comme si ce manque à gagner allait mettre à en péril les finances de Reed ! De toutes façons, la question n’est pas là et dépasse le seul cas des auteurs, même si la manière dont ils sont traités par l’organisateur en dit long sur le mépris dans lequel il les tient. La question est là : est-il normal de faire payer aux lecteurs-clients l’entrée d’une librairie ?
http://www.facebook.com/note.php?note_id=10150696272945752
Profession : auteur, hobby : voleur... ou le contraire.
Depuis deux jours, ceux qui parmi vous comptent un ami Facebook auteur ont pu voir circuler des liens (tel que celui-ci : http://www.actualitte.com/actualite/monde-edition/societe/accreditations-la-lutte-contre-la-vente-illicite-de-billets-au-salon-du-livre-32124.htm), des statuts, des billets, des commentaires manifestant une certaine indignation vis-à-vis d’une décision prise par l’organisation du Salon du livre de Paris qui exclue les auteurs n’ayant pas d’actualité (sic), donc de dédicace, des accréditations permettant d’accéder gratuitement au salon, alors que toutes les autres professions du livre – et d’autres sans rapport évident avec le livre – peuvent en bénéficier.
Cette information est lamentablement authentique.
Ci-dessous le mail-type qui est renvoyé aux auteurs pour toute demande d’accréditation.
Bonjour,
À compter de cette année, seuls les auteurs ayant une actualité et donc une dédicace sont accrédités gratuitement au Salon du livre. Cette accréditation doit passer par l'éditeur.
L'entrée est donc payante et est au tarif de 9,50 euros.
Vous pouvez préacheter votre billet au tarif de 7 euros avant le 15/02/2012 en vous rendant sur notre site : http://www.salondulivreparis.com/Billetterie.htm
Cordialement
Bertrand Morisset
Commissaire général du Salon du livre
Bertrand Morisset explique par ailleurs que « Cette année, nous avons effectivement décidé de resserrer les conditions d'obtention d'une accréditation. Nous nous sommes peut-être mal exprimés, mais cela n'est en rien tourné contre les auteurs. »
Ah ? Les auteurs sont les seuls exclus, mais ce n’est pas tourné contre eux. Comme cela peut surprendre, Bertrand Morisset précise que le Salon relève d'une organisation opérée par une société privée, « qui ne perçoit aucun financement public » et que, à ce titre, il n'y a aucune obligation contractuelle d'offrir aux auteurs une entrée gracieuse.
C’est vrai, aux autres professions du livre non plus, d’ailleurs.
Mais, là aussi, Bertrand Morisset a une explication : « Les auteurs adhérents de sociétés comme la SGDL ou la SCMA, avec lesquelles nous avons des accords particuliers pourront se rendre, à titre de professionnels, gratuitement au Salon, avec leur accréditation de professionnels. D'autre part, si une lettre motivée de l'éditeur nous est présentée par un auteur, et qu'elle justifie de la présence de l'auteur en qualité de professionnels, nous n'avons aucune raison de la refuser. Simplement, il nous faut absolument préserver notre salon des gangs de malfrats qui sévissent, mais plus encore contre les lettres falsifiées qui nous parviennent, et permettent d'enrichir un marché noir. »
Très majoritaires amis auteurs non affiliés à la SGDL et à la SCMA, n’y voyez aucune diffamation, il est de notoriété publique que nous sommes un gang de malfrats. Notre réaction, à laquelle je suis en train de m’inscrire ici même, démontre en effet que nous sommes organisés en association de malfaiteurs. Et, puisque c’est le cas, n’hésitons pas, œuvrons de conserve en boudant le joli salon de Bertrand Morisset et en faisant valoir l’un de nos droits moraux tel que défini par le Code de la propriété intellectuelle : exigeons de nos éditeurs que nos ouvrages soient absents du Salon de monsieur Morisset.
Je parle beaucoup de monsieur Bertrand Morisset, mais qu’il ne s’en offusque pas : j’ai parfaitement conscience que l’organisation du Salon du livre de Paris est confiée par le syndicat national de l’édition (SNE), dont monsieur Antoine Gallimard est l’actuel président, à Reed Expositions France (du groupe Reed Elsevier, dont le chiffre d’affaire en 2010 était de 7,3 milliards d’euros et le bénéfice net de 780 millions).
Oui, ami lecteur, car toi aussi tu es mon ami, tu as bien lu.
Il y a longtemps que je me demande pourquoi tu acceptes de payer – cette année 9,50 €, soit le prix d’un très gros livre au format poche – pour avoir le droit d’acheter des livres à un prix souvent plus élevé que celui que te proposerait un libraire, car beaucoup de libraires font la ristourne de 5% auquel la loi Lang leur donne droit, ce qui n’est pas le cas sur le salon. Je te suggère, en cette année de disette qui apparemment contraint les auteurs à enrichir le marché noir en revendant leurs accréditations, de faire l’économie de ces 9,50 €.
Pour ma part, je serai absent et mes ouvrages ne figureront pas sur les stands de mes éditeurs, mais nous pourrons nous retrouver dans d’autres salons, festivals, librairies et bibliothèques qui me font l’honneur de m’inviter sans m’insulter et sans ponctionner outre mesure ton portemonnaie. Je me ferai alors un plaisir de partager un brin de causette et de te dédicacer les ouvrages que tu auras acquis sur place ou que tu auras amenés dans ta musette – ce qui, si je ne m’abuse, est interdit au Salon du livre de Paris.